Les observations faites avec le Very Large Telescope (VLT) de l’ESO ont révélé pour la première fois qu’une étoile en orbite autour du trou noir supermassif au centre de la Voie lactée se déplace exactement comme le prédit la théorie de la relativité générale d’Einstein. Son orbite a la forme d’une rosette et non d’une ellipse comme le prédit la théorie de la gravité de Newton. Cet effet, connu sous le nom de précession de Schwarzschild, n’avait jamais été mesuré auparavant pour une étoile autour d’un trou noir supermassif. L’impression de cet artiste illustre la précession de l’orbite de l’étoile, avec un effet exagéré pour une visualisation plus facile- Crédit : a-se-passe-la-haut.fr/
jeudi 16 avril 2020
Observation d’une précession relativiste autour de Sgr A*
1) Vue d’artiste de l’effet de précession d’une orbite elliptique (ESO)
2) Mesures de la position et de la vitesse de l’étoile S2 au cours du temps. Les données de GRAVITY sont en rouge (GRAVITY Collaboration)
Une superbe observation vient de confirmer une fois encore la prévalence de la Relativité Générale à proximité de Sgr A*. Cette fois-ci, c’est la forme de l’orbite de l’étoile S2 qui se dévoile, en montrant une précession de son orbite elliptique, à l’image de l’explication de la précession de l’orbite de Mercure qui avait valu la gloire à Albert Einstein il y a un siècle. Une étude parue dans Astronomy & Astrophysics.
C’est avec le Very Large Telescope de l’ESO que ces observations ont été effectuées. La collaboration GRAVITY, qui a déjà fait des prouesses dans l’observation du voisinage proche du trou noir supermassif de notre galaxie, a relevé la position et la vitesse très précises de l’étoile S2, l’étoile qui s’approche au plus près de Sgr A*, à seulement 120 fois la distance Terre-Soleil. S2 est une étoile de type B de la séquence principale âgée de seulement 6 millions d’années.
GRAVITY est l’interféromètre du VLT qui combine la lumière des quatre télescopes de 8 mètres du pour en faire un télescope virtuel géant dont la résolution équivaut à celle d’un télescope de 130 mètres de diamètre. En 2018, la collaboration GRAVITY avait observé l’effet relativiste de redshift gravitationnel (décalage des longueurs d’ondes de la lumière dans un champ gravitationnel) toujours sur l’étoile S2. L’interféromètre GRAVITY est en fonction depuis 2017 et avant cet instrument, les astrophysiciens ont exploité les instruments SINFONI et NACO montés sur le VLT permettant de bénéficier d’une optique adaptative, corrigeant en temps réel les défauts de l’atmosphère, pour observer en infra-rouge le groupe d’étoiles dense qui virevoltent autour de Sgr A*.
Crédit courbe : ca-se-passe-la-haut.fr
S2 forme donc a première vue une belle orbite elliptique à la Kepler (avec une excentricité e=0,88) autour d’un point où on ne voit rien hormis une émission d’ondes radio. Elle complète son orbite en 16 ans. Mais S2 est désormais traquée depuis plus de 16 ans, près de 27 ans pour être exact, ce qui permet aux astrophysiciens de vérifier si S2 suit bien l’ellipse qui avait été déterminée ou bien si elle en dévie légèrement, ce qui devrait être le cas pour un objet situé à une distance aussi faible d’une masse aussi importante (4,25 millions de masse solaires), d’après la Relativité Générale. Si c’était la loi de Newton qui était en vigueur, S2 devrait poursuivre sa première orbite elliptique.
Pour mettre en évidence cette précession, les astrophysiciens de GRAVITY n’ont même pas eu besoin de comparer les trajectoires entre elles sur plusieurs dizaines d’années, ils ont scruté avec une grande précision la position et la vitesse de S2 durant environ 1 an autour de son péri centre de 2018 puis on comparer avec ce qu’elles devraient être dans le cas Newtonien/Keplerien.
Vous l’aurez compris, c’est Einstein qui gagne, une fois encore. Les astrophysiciens de GRAVITY observent pour la première fois la précession de l’orbite d’un objet autour d’un trou noir supermassif.
Les chercheurs utilisent un paramètre pour juger de la nature des effets physiques à partir de la précession observée : le paramètre fSP, qui doit valoir 0 si la gravitation est newtonienne et 1 si elle est einsteinienne. Les mouvements de S2 observés donnent une valeur de fSP égale à 1,10 ± 0,19. Ils sont donc pleinement compatibles avec la Relativité Générale et incompatibles avec Newton.
Cela signifie que le point le plus rapproché de S2 du trou noir n’est jamais le même d’une orbite à l’autre : ce point tourne autour du trou noir de 12 minutes d’arc par orbite. Le tracé des orbites de S2 ne forme donc pas une seule ellipse mais une série d’ellipses décalées les unes par rapport aux autres : une rosace.
La Relativité Générale prévoit se comportement, appelé précession de Schwarzschild, et l’amplitude qu’il doit avoir en fonction de la masse de l’objet central qui est impliqué.
Les chercheurs construisent un modèle à 14 paramètres qui impliquent la distance entre S2 et Sgr A*, la masse centrale, la position et la vitesse du référentiel d’observation, les six paramètres orbitaux de S2, et le paramètre fSP. Ils peuvent ainsi déterminer non seulement la masse du trou noir Sgr A*, mais aussi la masse qui pourrait être présente entre Sgr A* et l’étoile S2, qu’elle soit sous forme étendue (comme de la matière noire) ou bien compacte (sous forme de petits ou moyens trous noirs).
Ils trouvent qu’une masse étendue invisible ne pourrait pas excéder environ 0,1% de la masse centrale (ce qui fait 4000 masses solaires) et que dans le cas d’une masse compacte additionnelle de type trou noir, celle-ci ne pourrait pas dépasser 1000 masses solaires à l’intérieur de l’orbite de S2.
Les astrophysiciens annoncent qu’ils ne pourront pas améliorer leurs résultats avec GRAVITY et le suivi de l’orbite de S2, étant au maximum de précision qu’ils peuvent atteindre, mais ils pensent déjà au futur et à ce que pourrait permettre l’Extremely Large Telescope dans quelques années : observer des étoiles encore invisibles car trop faibles et qui seraient encore plus proches de Sgr A* que S2, et dont les mouvements et les décalages spectraux pourraient donner une indication de la rotation du trou noir supermassif…
Sources
Detection of the Schwarzschild precession in the orbit of the star S2 near the Galactic centre massive black hole